Un.e artiste a besoin de beaucoup plus que seulement du talent: du professionnalisme, une bonne connaissance de son milieu, et un intérêt continu pour sa communauté artistique, pour ne nommer que ces compétences-là. Parmi les artistes aux différents tempéraments, des hurluberlus fantaisistes aux adeptes d’une logique inflexible, le trait de caractère qui revient invariablement, c’est la prédisposition des artistes pour la solitude.
La solitude est-elle une source d’inspiration ou plutôt une béquille? Certains la qualifie d’isolation malsaine, et d’autres nous sensibilisent aux enjeux de santé mentale qui découlent de celle-ci. Aujourd’hui, j’aimerais donc prendre le temps d’observer, d’exposer, et d’approfondir la solitude, et ses risques pour nos proches, mais surtout pour les artistes de nos communautés.
Peu importe à quel point un.e artiste est capable de se divertir, d’être extraverti(e), de sortir de chez lui/elle, de profiter de la vie, la réalité est que la solitude est nécessaire à la création. Pour prendre le temps d’écrire, de se relire, de conceptualiser, de composer, pour essayer de nouvelles choses, il faut pouvoir y consacrer du temps seul.e, sans distraction. Comment perfectionner son art, sans solitude pour apprendre, repiquer, pratiquer, encore et encore? Comment prendre le temps de s’inspirer des autres artistes autour de nous, si on est constamment en train d'interagir avec le monde au lieu d’apprécier l’art de nos comparses et d’y réagir avec le nôtre?
Nous avons tous et toutes un rapport différent avec la solitude. Pour ma part, mon comportement varie énormément entre la solitude et la foule; entre ma réflexion et mon extravagance. Il est entendu qu’en tant que performeuse, je cherche continuellement l’attention dans mes interactions avec le public et il en est de même avec mon public du quotidien: mes proches, mes collègues et ma famille (qui sont bien mieux de rire à ma joke s’iels veulent pas se la faire expliquer…)
Une fois en tête-à-tête avec ma solitude, j’adopte plutôt une attitude extrêmement casanière: je n’essaie presque jamais d’organiser une sortie entre amis, je n’appelle personne, je passe des heures à faire de la musique, à travailler, à lire, à m’inspirer, à me poser des questions. Parfois aussi, je mets du Céline Dion super fort dans mes oreilles pis je danse toute seule dans mon salon en faisant comme si j’étais au Centre Bell: là se trouvent des aspects je crois bénéfiques de la solitude, c’est-à-dire qu’elle nous aide à décompresser, à remettre les pendules à l’heure et à nous divertir pour mieux enrichir notre vie, notre mental, et notre art.
Mais que fait-on avec un surplus de solitude?
Comment sort-on d’un cycle sans fin où la solitude mène à l’isolement, l’isolement au détachement, et le détachement à encore plus de solitude?
Pendant la pandémie, on a appris que trop de solitude, c’est vraiment pire que pas assez. Pendant qu’on se confinait loin des virus, plusieurs d’entre nous se sont rapprochés.es du gouffre, quelques-uns y sont tombés. Cela nous amène à nous poser des questions. Moi la première, parce que malgré mon tempérament pas du tout dépressif, qui présente même une soif de vivre assidue et inflexible, je ressens aussi la montée de cette torpeur prenante, qui nous saisit de partout quand il y a un trop-plein de solitude.
Comment peut-on s’assurer que notre solitude continue d’être bienveillante?
Comment savoir quand intervenir, alors que chaque individu a un baromètre de détresse différent?
Y a t’il des symptômes clairs qui peuvent nous permettre d’aviser ces solitudes malsaines avant qu’il ne soit trop tard?
Je ne peux pas prétendre avoir les réponses à ces questions. Mais peut-être que ce n’est pas important d'avoir une réponse. Peut-être que ce qui importe, c’est de continuer à chercher des pistes de solutions pour nos proches et pour nous-même.
Ce qui importe, c’est de continuer à être attentif.ve, d’être bienveillant.e et d’être disponible pour ces gens qui souffrent, peu importe la grandeur du mal.
Un bec sur le bobo, ça n’efface pas la blessure mais ça soulage le cœur.
On pourrait commencer par être plus clément.e avec soi-même, pour prendre soin de ce cœur. Personne n’est surhumain, et pourtant on fait tout pour faire semblant d’être surhumain, en acceptant de se fendre en mille pour une opportunité, en se brisant le dos pour avancer plus vite, en camouflant notre fragilité pour avoir l’air fort.e et en attendant de vivre pour pouvoir créer. Pourquoi? Parce qu'on est convaincus que nos fans nous aiment pour notre art? Parce qu’on croit qu’on doit se rendre au prochain checkpoint avant les autres? Parce que les autres semblent toujours en faire plus, et le faire mieux que nous?
Bullshit.
Tu es assez. Je te le jure.
Tu es beaucoup plus que ce que les autres voient. Je te le promets.
Ta valeur ne t’es pas attribuée par ces autres. Je te le garantis.
Chaque jour, tu te développes, tu apprends, et tu deviens meilleur.e.
Et même si tu devenais pire! Parfois, il faut faire un pas de recul pour mieux avancer.
Parfois, il faut s’arrêter pour contempler le paysage et apprécier la chance qu’on a d’être ici, et d'être en vie.
—
Pour 2023, j’ai donc quelques souhaits:
J’aimerais mettre fin à quelques idées noires - celles qui pourrissent nos vies et qui nous prennent nos amis.es. On ne pourra jamais les éradiquer, mais quelques unes en moins nous ferait du bien.
J’aimerais mettre un frein à notre industrie, la ralentir - c’est elle qui nous fait sentir inadéquats.es. Tant qu’à y être, j’aimerais qu’elle s’ouvre sur l’avenir, et qu’elle participe plus activement à sensibiliser le public au travail gargantuesque que c’est, de faire de la musique.
J’aimerais qu’on se donne le droit de prendre notre temps, d’avoir des jours avec et des jours sans - c’est une balance essentielle qu’on a délaissée trop souvent. Est-ce qu’on a vraiment besoin de répondre à la demande en moins de 5 minutes? Se faisant, on participe activement à la détérioration de nos conditions de travail, et on acclimate notre industrie à en demander toujours plus et toujours plus vite.
Et finalement, j’aimerais qu’on se permette d’être humain et de vivre.
On le mérite.